Après la crise, prendre de la hauteur
La pandémie du Covid-19 a déclenché la propagation d’une multitude d’informations, à trier selon les sources, dont certaines peuvent s’avérer douteuses. Et comme tout le monde n’a pas forcément le temps nécessaire pour faire le tri, cette profusion d’informations a aussi augmenté le sentiment d’incertitude dans lequel la crise nous a brusquement plongés.
L’un des moyens pour endiguer la peur, est d’élargir son angle de vue, en prenant du recul, de se confronter à la réalité concrète, tout en replaçant l’épidémie dans un contexte plus global. En observant, par exemple, les éléments objectifs, qui ont conditionné son apparition.
Quelles sont les conditions pour qu’une épidémie se déclare ? Selon Yves Coppieters, épidémiologiste et Professeur de Santé Publique à l’ULB, le risque d’émergence d’une nouvelle maladie se cristallise à l’intersection de trois composantes : un agent infectieux rencontre un hôte « susceptible » – c’est-à-dire réceptif – et ce, dans un environnement « favorable ». Divers facteurs environnementaux peuvent en effet favoriser le déclenchement d’une épidémie. Parmi eux, la mondialisation de l’économie et ses conséquences sur la biodiversité. Un rapport du WWF (World Wildlife Fund) établit un lien entre « destruction des écosystèmes et émergence de pandémies ».
Le coronavirus fait partie des « zoonoses », des maladies transmises de l’animal à l’homme. Une des hypothèses scientifiques est que la chauve-souris aurait servi d’hôte initial, suivie du pangolin, en tant qu’hôte intermédiaire. Selon le WWF, les écosystèmes naturels comme les forêts tropicales jouent un rôle de régulateur dans la transmission des zoonoses : « La destruction des habitats naturels et de la biodiversité rompt l’équilibre écologique qui limite les micro-organismes responsables de certaines maladies et crée des conditions favorables à leur propagation. » Ainsi, la détérioration de l’environnement par les activités humaines aurait contribué à l’émergence de pandémies, telles que le Covid-19. Cette hypothèse laisse entrevoir qu’une façon de nous préserver des crises sanitaires, serait de s’atteler au plus vite à changer notre vision du monde : questionner le système actuel, basé sur la croissance à tout prix, afin de construire un mode économique durable, soucieux de rétablir une cohabitation harmonieuse entre tous les êtres vivants.
Un autre moyen de nous rassurer par rapport au risque de contagion est d’évaluer la dangerosité du coronavirus, par rapport à celle d’autres agents infectieux. C’est ce que font certains scientifiques reconnus, depuis le début de la crise.
D’abord comparée à la grippe, la maladie provoquée par le SARS-CoV-2, aussi appelée Covid-19, s’est avérée plus complexe. Cependant, elle ne fait pas partie des maladies infectieuses les plus dangereuses.
Dans un article du 29 janvier 2020, intitulé « Coronavirus, Zika, Ebola… : quelles sont les maladies les plus contagieuses ou les plus mortelles ? », le journal français Le Monde publie un graphique[1], qui décrypte le taux de mortalité, comparé à l’indice de contagiosité d’une quarantaine de maladies bactériennes, parasitaires et virales, dont le coronavirus. Selon ce graphique, il apparait que le Covid-19 « possède un indice de contagiosité relativement modéré – 2 contre 17,6 pour le rotavirus responsable de la gastro-entérite. » Par ailleurs, selon l’OMS, citée dans l’article, « le taux de mortalité du Covid-19 est de 3 %, soit bien en dessous de celui du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) – avec un taux de mortalité de 9,6 % ».
Cette dernière information (3%) est corroborée par Yves Coppieters, dans son webinaire du 4 mai 2020. Le scientifique complète les données précitées par une analyse du taux de mortalité par tranche d’âge (graphique de Sciensano) : les taux de mortalité les plus élevés varient entre 3,6% (60-69 ans), 8% (70-79 ans) et 14,8% (80 ans et +). Ce qui confirme la thèse selon laquelle les personnes les plus exposées se situent majoritairement dans ces tranches d’âge. Ces résultats peuvent être combinés au constat que la majorité des personnes hospitalisées souffraient d’autres pathologies. En ce sens, l’épidémiologiste souligne que, si nous avons tous la même susceptibilité d’attraper la maladie, nous ne sommes pas tous susceptibles de faire des complications, pouvant mener au décès.
Enfin, Yves Coppieters attire l’attention sur le fait que 80% des personnes infectées sont asymptomatiques, ce qui empêche d’objectiver l’impact réel de l’épidémie. Par conséquent, les chiffres de nouvelles admissions à l’hôpital, couplés à ceux de l’évolution des décès, bien que statistiquement observés, ne découvrent qu’une partie de la réalité, quant à l’incidence du virus sur l’ensemble de la population.
La diffusion journalière de ces données – partielles mais néanmoins disponibles – par les médias n’a pas contribué à rassurer les citoyens face à l’incertitude. D’où l’importance de se positionner en « vue d’avion », si nous souhaitons retrouver la base de sécurité nécessaire à l’action constructive.
Comment (di)gérer l’après-crise ?
Une chose dont nous pouvons être sûrs est que nous devrons désormais apprendre à vivre avec cette nouvelle maladie infectieuse émergente. Tout comme nous avons déjà réussi à cohabiter avec les 1419 autres agents infectieux répertoriés et responsables de pathologies humaines.
Afin d’apprivoiser ce nouveau venu dans des conditions optimales, il est impératif que les structures hospitalières ne soient pas débordées. Sur ce point, Yves Coppieters est plutôt optimiste : « Les espoirs actuels sont au niveau des thérapeutiques qui permettraient de limiter les complications et de diminuer la mortalité. Si on trouve ces thérapeutiques avant le vaccin, il y a peu de raisons d’avoir peur de vivre avec le virus. »
« Vivre avec le virus » suppose, dans un premier temps, l’adoption de comportements protecteurs préventifs. Ceux-ci sont de deux ordres : collectif et individuel. Et la plupart relèvent du bon sens.
Protection collective
- En cas de fièvre, toux et fatigue intense apparus soudainement : rester chez soi. Surtout ne pas aller travailler. Afin d’empêcher la contamination, contacter son médecin et suivre ses instructions.
- Éviter les foules et appliquer les mesures préventives, dans les lieux de vie essentiels et aux endroits de croisement de population.
Protection individuelle
- Se laver très régulièrement les mains
- Tousser ou éternuer dans son coude ou dans un mouchoir à usage unique, déposer ensuite son mouchoir dans une poubelle fermée.
- Maintenir une distanciation physique de 1,5 mètre entre personnes.
- Porter un masque dans les transports en commun et les lieux de vie essentiels.
- En cas de contact avec une personne infectée, il est recommandé de pratiquer l’auto-isolement ou l’auto-quarantaine.
Gérer l’incertitude
La peur que cette problématique a engendrée provient, en partie, de notre intolérance à l’incertitude. Or, loin de nous rassurer, la surinformation peut augmenter le sentiment d’insécurité. Car nous ne pouvons jamais être certains à 100% de ce qui est avancé.
Notre comportement reflète parfois cette intolérance comme, par exemple, la procrastination ou la difficulté de déléguer les tâches. L’action est un moyen efficace pour modifier ses habitudes et augmenter sa tolérance à l’incertitude. Dans le cas de la procrastination, il s’agit de faire les choses maintenant. Dans celui de vouloir tout accomplir seul, c’est découvrir les vertus pédagogiques de la délégation et de la reconnaissance de l’autre.
Covid-19 : un agent révélateur ?
Il existe dans la nature des organismes qui vivent en symbiose. C’est le cas du bernard l’hermite, qui vit en complémentarité avec certaines anémones : agrippée à la coquille du crabe, l’anémone récolte les restes de son repas et profite de ses déplacements. En échange, grâce à ses tentacules urticants, l’anémone protège le bernard l’hermite des prédateurs. L’un ne va pas sans l’autre : quand Bernard déménage dans une coquille plus spacieuse, il emporte Anémone dans ses bagages…
Cet exemple de collaboration entre deux espèces vivantes nous inspire une question audacieuse : et si le coronavirus, au lieu d’être une menace, agissait comme un signal, pour révéler les limites de la globalisation effrénée, à laquelle nous nous sommes inconsciemment habitués, telle la grenouille plongée dans l’eau qui bout ? Si ce Covid-19, sous des dehors inquiétants, était venu, comme l’anémone, s’agripper à notre coquille, pour nous réveiller, face aux prédateurs que la société a elle-même engendrés ?
C’est à la croisée des chemins entre santé publique, environnement et développement économique, que nous devrons mobiliser notre capacité d’adaptation et notre intelligence collective. Afin de rétablir un nouvel équilibre et d’apprendre à vivre, en « bonne entente », avec ce nouvel habitant.
Valérie Decruyenaere
Chargée du projet 7 Jours Santé
- [1] Institut Pasteur, Santé publique Canada (2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12), Anses, Université de Caroline du Sud (2), Plos One (via Informationisbeautiful).
- Yves Coppieters, épidémiologiste et Professeur de santé publique à l’ULB, webinaire du 4 mai 2020 : « Regard critique sur l’évolution de l’épidémie de Covid-19 en Belgique »
- Article du WWF sur le rapport « destruction des écosystèmes et émergence de pandémies ».
- « Coronavirus, zika, Ebola… : quelles sont les maladies les plus contagieuses ou les plus mortelles ? », Le Monde, 29 janvier 2020
- « Coronavirus : près de 75% des personnes hospitalisées souffraient déjà d’une ou plusieurs comorbidités », La Libre, 26 mars 2020