Faillites et santé : reconstruire la confiance en soi, ensemble

Faillites et santé

En partenariat avec diverses structures bruxelloises[1], le programme reSTART de Beci, apporte un soutien salutaire aux entrepreneurs en faillite. Un accompagnement professionnel et humain, qui permet au reStarters de partager leur expérience au sein d’un groupe bienveillant, de porter un autre regard sur l’échec, de mieux se connaître et enfin, de tirer les leçons du passé, pour mieux… rebondir.

La formule ? Un groupe d’environ dix participants est accompagné pendant 5 mois par différents ateliers. Processus collectif inscrit dans la durée, pour briser le sentiment de solitude et se serrer les coudes, comme une cordée.[2] Dans ce cadre, Jean-Marc Colson, coach et formateur, donne deux journées d’atelier (à 15 jours d’intervalle), intitulé « Confiance en soi, estime de soi, intégrité, assertivité ».

Fin 2019, il nous décrivait avec passion le contenu et les objectifs de son intervention. Témoignage.

Étape 1 : raconter et observer son histoire

Dans un premier temps, le formateur leur donne un espace de parole pour raconter, à eux-mêmes et au groupe, ce qui leur est arrivé. « Quand on décrit son histoire, on se met en situation d’observateur. Le récit instaure une distance entre soi et l’événement… De cette position d’observateur, ils peuvent identifier jusqu’à quel moment ça fonctionnait et à quel moment ça a commencé à déraper. Détecter aussi toutes les actions – faites ou non faites – qui ont empêché de rattraper le dérapage, qui a continué à entrainer les tonneaux, etc. »

Afin qu’ils osent partager leur histoire aux autres, il est essentiel d’assurer un cadre de très grande bienveillance et de non-jugement. En pleine tourmente, les « faillis » se sont souvent sentis jugés par leur entourage. Il faut donc rétablir un climat de confiance : « Ils savent qu’ils sont avec des gens qui vivent ou ont vécu des situations similaires, qu’ils sont plusieurs à être dans cette fragilité, dans cet espèce de champ de ruines… Ils comprennent alors qu’ils ne seront pas jugés. Le fait de ne pas être jugés les aide à ne pas se juger eux-mêmes. »

Étape 2 : se donner le droit à l’erreur

« Le fait d’entendre l’histoire des autres – pour certains, pire que la leur – les aide à relativiser : « Je ne suis pas anormal ou inapte… » Aussi, ils se soutiennent mutuellement, s’échangent des conseils, trucs et astuces, infos juridiques… Une solidarité grandit et ça leur fait énormément de bien. La dynamique de groupe recrée aussi une énergie de jeu, de légèreté. Il s’agit d’une étape de déculpabilisation, d’acceptation, de pardon et aussi d’auto-félicitation : « J’ai osé prendre des risques, je me suis planté mais c’est la vie. »

Étape 3 : retrouver l’intégrité

 Ce travail d’acceptation est la condition sine qua non pour pouvoir ensuite se confronter et analyser leur mode de fonctionnement, durant la dégringolade, qui a mené à la faillite. « L’acceptation les amène à la question de l’intégrité : Est-ce que je n’ai pas perdu mon intégrité par rapport à ma parole ? Est-ce que j’ai fait ce que j’ai dit ? Est-ce que j’ai dit la vérité aux autres (mon comptable, mes clients…) ? Me suis-je laissé embarquer dans la honte et le mensonge ? A quel moment je n’ai plus été dans l’authenticité ?

« Le sentiment de culpabilité les a amenés à faire des promesses non-tenues. Ils se sont alors construit une espèce de pseudo-confiance, en jouant les super-héros. »

Le but de cette étape est de les aider à « récupérer et reprendre confiance en leur propre parole », ce qui suppose de réaligner la parole sur les actes.

Pour Jean-Marc Colson, « La confiance en soi est la confiance en sa propre capacité à faire ce que l’on dit ; elle est liée au respect de sa parole traduite en actes. D’où le rapport à l’intégrité.

L’estime de soi – la manière de s’évaluer de manière globale (ndlr : en tant que personne) – ne revient pas par les paroles mais par les actes que l’on pose. C’est pourquoi l’estime est liée à la confiance : « Plus je reprends confiance en moi par mes actes, plus je répare mon estime de moi et je retrouve mon intégrité. »

A la fin du premier jour de formation et pour intégrer ce retour vers l’intégrité, Jean-Marc leur donne un exercice pratique : faire une promesse au groupe et à eux-mêmes. Ils s’engagent à tenir cette promesse dans l’intervalle entre les deux journées et, lors du 2ème jour de formation, ils racontent aux autres comment ça s’est passé. Le fait de faire une promesse au groupe les encourage à la tenir, le soutien du groupe et du formateur est également important.

Les engagements pris doivent être concrets et visibles. Par exemple : « Je vais appeler mon curateur (même si j’en ai peur) », « Je vais mettre de l’ordre dans mes papiers », « Je vais téléphoner à mon associé pour qu’on clarifie la part de responsabilité de chacun », « Je vais enlever l’enseigne de mon magasin »… Ce dernier exemple est un acte symbolique : le fait de laisser l’enseigne montre aux repreneurs potentiels un « lieu d’échec ». Si on l’enlève, cela redevient un endroit neutre.

De retour à la 2ème journée de formation, une évaluation a lieu avec le groupe. Cela permet de regarder avec lucidité le rapport entre actes et paroles.

Sur la notion d’intégrité, le coach apporte une nuance non négligeable : « l’intégrité ne veut pas dire rester fidèle à sa parole au point d’en « mourir ». Certains ont décidé de toujours faire ce qu’ils disent, quelles que soient les circonstances. Par exemple, un entrepreneur, soucieux de ne pas « couper les vivres » à la famille de son employé, promet à celui-ci de ne jamais le licencier. Empli de scrupules, il garde l’employé, même quand les caisses de l’entreprise sont vides. Cette forme « d’intégrisme » provoque la chute.

L’intégrité c’est donc « faire ce que l’on dit, au mieux de ce qui est juste pour soi, en fonction de l’instant présent. C’est-à-dire aussi, pouvoir assumer de dire : « Je ne peux finalement pas tenir ma promesse mais je vais essayer d’adoucir l’impact de cette promesse non-tenue » Dans une moindre mesure, c’est comme offrir un verre à un ami quand on est en retard. »

Afin de rester intègre, mieux vaut être prudent dès la formulation de la promesse et plutôt dire : « Je vais tout faire pour tenir ma promesse. » Il y a donc tout un travail sur la communication relative à l’engagement. Ce travail permet aux participants de prendre conscience de choses très concrètes. Par exemple : « Si j’avais prévenu mon employé plus tôt, on aurait pu préparer sa sortie de l’entreprise, j’aurais eu moins de charge financière et j’aurais peut-être pu éviter la faillite. »

Étape 4 : reconnaître et respecter ses limites

« Beaucoup sont dans l’énergie du sauveur : sauver l’entreprise familiale, les employés. Ils prennent alors tout sur leur dos, en se disant que ça va aller et puis CRAC. Ils découvrent qu’ils n’ont pas osé poser leurs limites. L’assertivité est la capacité à dire non, à poser ses limites, avec bienveillance et fermeté. La fermeté c’est oser avouer sa faiblesse, c’est dire « non, je ne peux pas, c’est au-delà de mes forces. »

Pour intégrer cette étape, Jean-Marc propose aussi un exercice pratique : la déclaration de confiance en soi. Il s’agit d’une déclaration d’amour de soi, face au groupe, qui consiste à dire : « Je suis responsable de moi-même, de mes forces et de mes faiblesses. J’accepte mes failles et je peux les transformer en forces et/ou valoriser les parties de moi-même qui sont des atouts, des appuis… Je suis conscient que tout ce que je viens de vivre est utile pour continuer à évoluer et à me fortifier. »

Il s’agit aussi d’une déclaration d’assertivité : « Terminé de vouloir faire plaisir à tout le monde… Je vais communiquer au monde mes forces et mes limites, j’arrête de jouer les super-héros, de faire celui qui est capable de tout… ».

Valérie Decruyenaere
Chargée du projet 7 Jours Santé

 


Interview réalisée fin 2019.

[1] Team4job, Actiris, CEd, Tribunal de l’Entreprise, EMCC
[2] Voir aussi le témoignage d’Éric Vanden Bemden (lien), coordinateur de Restart, sur l’impact de la crise sanitaire sur ce processus.