Entreprises et crise énergétique : choisir et renoncer

Face à trop d’adversité, certains choix sont inévitables. Ils seront moins pénibles, si vous ne restez pas seuls. Début décembre, Salim Belkacem, commerçant de bio-shop, nous racontait son parcours du combattant face à l’explosion des coûts énergétiques. Il développe ici les pistes et solutions trouvées pour y faire face.

Aides publiques : on n’est pas dans les temps

Qu’a donné le contact avec Hub.Brussels ?

Ils m’ont renseigné plusieurs solutions. Ce qui est regrettable, c’est que notre investissement sur Fonds propres ne peut pas être pris en charge, parce qu’il aurait fallu faire la demande avant le début du projet. C’est désolant, parce que l’information ne nous est pas parvenue en temps et en heure.

Quelles sont les autres démarches possibles ?

J’ai demandé qu’un « Mystery shoper » passe dans le magasin, pour qu’il puisse faire un rapport. Je vais aussi prendre rendez-vous avec le GEL1 de Schaerbeek et un.e expert.e en communication. Ce qui nous manque actuellement c’est d’augmenter notre visibilité pour attirer plus de clients.

As-tu l’intention de demander une aide fédérale (report de cotisations sociales, plan de paiement…) ou régionale (aide directe de 30% des surcoûts énergétiques pour les entreprises les plus touchées) ?

Le problème c’est que, pour pouvoir en bénéficier, nous devons avoir un historique. Or, comment prouver au gouvernement que nous sommes touchés (en comparant deux décomptes) alors que nous n’avons qu’un seul décompte annuel ?

Et le report des cotisation sociales ?

J’ai fait la demande pour 2022, vu que je n’ai pas de salaire pour payer mes cotisations. Je crois que j’obtiendrai un report mais pour seulement une partie de l’année.

Prioriser les charges

Qu’est-ce qui est le plus difficile ?

Nous sommes passés par une période très difficile. Suite à l’inflation, nous avons dû prioriser les charges : le précompte immobilier, la facture énergétique et le loyer. Nous sommes partis un peu en vacances pour nous reposer. A notre retour, nous avons constaté qu’un concurrent avait ouvert à côté.

Une mauvaise surprise…

Cela nous a inquiétés. Mais c’est bien pour le quartier, je tiens à le préciser. Nous ne le considérons pas réellement comme un concurrent mais, financièrement, ça l’est quand même. Nous avons constaté une baisse de notre chiffre d’affaires.

En quoi n’est-ce pas réellement un concurrent ?

Nous sommes complémentaires. Ils proposent des produits que nous n’avons pas et inversement. Cela dit, j’ignore dans quelle mesure les prix sont plus intéressants chez l’un ou l’autre. Notre marge bénéficiaire n’est pas énorme. On a un petit magasin. Quand on commande, par exemple, du vrac, on achète 10 kg maximum. Dans les plus grandes surfaces, on commande par palettes, ce qui fait varier les prix.

Le courage de la solidarité

As-tu trouvé du soutien à l’extérieur ?

Quand on arrive au fond du gouffre, on commence à chercher activement des solutions. Un conseiller d’Hub.Brussels m’a appelé dans les trois jours, j’étais impressionné. Ça m’a fait plaisir. Déjà moralement c’est un soutien très important parce qu’on se sent vraiment seul.

D’où vient ce sentiment de solitude ?

Quand vous voyez vos clients qui ne reviennent plus, vous vous sentez vraiment isolé. Vous vous dites « Même mes clients commencent à me laisser tomber ». Mais ce n’est pas le cas, c’est juste une impression. C’est nous qui commençons à rentrer dans un cercle noir et à ressasser des énergies négatives. Cela nous donne une perception erronée de la réalité.

Ta femme ne travaille plus dans le magasin ? Je vois que tu as maintenant l’aide d’un collègue.

Sam vient m’aider quand j’ai de la marchandise qui rentre, parce qu’il faut de l’huile de bras pour placer les produits en rayon. Avec mon épouse, nous avons eu une discussion qui nous a amenés à une décision qui ne nous plaît pas. Elle était heureuse dans le magasin. Mais la situation l’a obligée à reprendre le travail.

C’est elle qui l’a décidé ?

On a tiré à la courte paille. On s’est dit, un de nous deux doit retourner travailler ailleurs pour assurer les revenus, pouvoir payer le loyer. Pendant les deux premières années d’activité, un indépendant ne touche pas de salaire. Quand vous vous levez à 6 heures du matin, que vous rentrez à 20h et qu’à la fin, vous avez zéro euros, en termes de motivation, vous devez avoir les reins solides.

Ton épouse a pu retrouver du travail facilement ?

Facilement est un grand mot mais nous avons des profils intéressants, surtout à l’heure actuelle. Nous avons postulé et reçu des réponses tous les deux en même temps. Nous avons décidé ensuite que ce soit moi qui reste dans le magasin parce que c’est un travail qui reste quand même relativement physique. Après le boulot, ma femme s’occupe de notre fille, parce que je rentre tard.

Comment vivez-vous la gestion commune d’un même projet professionnel ?

Quand on est en couple et que l’on lance un business ensemble, il faut vraiment s’écouter, partager et ne pas rentrer dans un décompte de ce que chacun.e fait ou non. Dans cette situation, beaucoup de couples se séparent parce qu’il n’y a pas d’entente. Il ne faut pas non plus entrer dans les stéréotypes de genre. Les deux partenaires doivent jongler avec tout et se partager les tâches équitablement.

Quelles sont les conséquences de cette crise sur ton bien-être et ta santé ?

Je ne peux pas parler à sa place mais j’imagine que, pour celui qui est seul, il doit être encore plus difficile de rentrer chez soi après le boulot. Nous sommes trois à la maison. Quand je rentre et que je vois que tout le monde est bien nourri et logé et qu’il y a quand mêmes des sourires sur les visages, c’est une forme d’apaisement. Cela me donne de la force pour me réveiller le lendemain, même si je sais que la journée sera difficile.

Le fait que ta femme ait un emploi salarié vous procure-t-il davantage de sécurité ?

Cela nous soulage quand même parce que, après avoir épuisé toutes nos économies pendant un an, on voit que les charges continuent. On s’est quand même un petit peu mis dans l’embarras. On est en train d’absorber le retard de factures, en partie grâce à son nouvel emploi. Et à son courage, d’avoir quitté momentanément le projet, en sachant que son magasin galère.

Arrives-tu à maintenir l’équilibre vie privée-professionnelle ?

Il faut faire des concessions et aussi y mettre une limite. Par exemple, est-ce qu’on ouvre le magasin le week-end ? En principe c’est pas obligé mais pour un magasin qui ne tourne pas et qui veut conserver une certaine clientèle, on se doit d’envisager la question.

Donc vous ouvrez le dimanche ?

Oui. On a seulement changé nos horaires pour préserver la vie de famille. On ouvre à 10h et on ferme à 18h30. Le dimanche, on ouvre à 11h et on ferme à 17h. Le WE, ma femme reste avec notre petite fille et c’est moi qui suis en magasin.

Face au stress : la famille et un mental solide

Vis-tu des moments de stress trop intense ?

Tenir un magasin ce n’est pas attendre que le client rentre. Il y a aussi des tâches ingrates, comme réceptionner la marchandise, la déballer, l’encoder, établir les prix, étiqueter… Or, les clients d’un commerce de proximité ne viennent pas uniquement pour entendre le bip du scan de la marchandise ; ils viennent aussi pour échanger. Ce temps d’accueil et d’information n’est pas toujours possible, parce qu’on est pris par les tâches administratives. C’est un facteur de stress.

A quelles ressources peux-tu faire appel, face au stress ?

Le café ! Rires Pour être honnête, je ne sais pas. Il y a beaucoup de choses : la famille et la foi (je suis croyant), qui est très importante pour moi. Mais je crois surtout en mon projet ! Rires Parfois, il y a une énergie qui est là et je ne sais pas d’où elle vient.

Une conseillère du CEd m’a parlé récemment de cette force qu’elle observe chez les indépendants et qui semble « tenir au scotch ». Tu confirmes ?

J’ai souvent entendu dans les discussions qu’être indépendant n’est pas donné à tout le monde. Au début, je ne le comprenais pas. Après m’être lancé, j’ai réalisé que cela demandait un mental solide et une très forte personnalité.

Propos recueillis par Valérie Decruyenaere, chargée du projet 7 Jours santé


1. Guichet d’Économie Locale

Les guichets d'économie locale

Quelques communes bruxelloises disposent d’un guichet d’économie locale (GEL), qui accompagne gratuitement les entrepreneurs débutants dans le développement de leur activité ? en tant que personne physique ou sous forme de société. Certains guichets sont installés au sein d’un centre d’entreprise.

Un guichet d’économie locale peut vous offrir les services suivants :

  • Analyse de la faisabilité économique de votre projet
  • Evaluation de votre budget d’investissement
  • Elaboration de votre Business Plan
  • Choix de la structure juridique
  • Formalités administratives
  • Assistance pour la recherche des financements appropriés

Ses services sont gratuits. Les Gel’s organisent aussi régulièrement des séances d’information sur la création d’entreprise.

En savoir plus