Entreprises et crise énergétique : le bio perd des plumes

D’après l’interview de Salim Belkacem, commerçant d’un magasin bio.

Les indépendants et dirigeants de TPE sont parmi les plus touchés par la crise énergétique. Salim Belkacem, commerçant de bio-shop, partage son expérience et les moyens recherchés pour s’en sortir.

Présentation

J’ai travaillé comme consultant en énergie pendant 10 ans. Au tout début de ma carrière j’étais salarié. Ensuite, comme mon épouse est ingénieure civile, nous avons créé une société de consultance en énergies et génie civil. Le projet de créer un bio shop nous tenait vraiment à cœur.  En novembre 2021, lorsque la crise-covid a été moins criante, nous avons ouvert notre premier magasin, Bio Darna.

Entre deux crises, on y va !

Pourquoi « Bio Darna » ?

En arabe, « Darna » signifie « ma maison ». Traduit littéralement « Ma maison bio ». Notre intention derrière ce nom est que le client se sente chez lui et qu’il puisse trouver des produits du terroir.

Avez-vous fait appel à une structure d’aide à la création, telle que Jobyourself ?

Pas du tout. Vu que nous avions déjà notre société de consulting , nous n’avons pas spécialement cherché à être accompagnés. Mais nous aurions dû le faire.

Connaissais-tu les différents dispositifs d’aide ?

Non. Récemment, un confrère m’a conseillé de m’adresser à Hub.Brussels. Je ne connaissais pas du tout. Si j’avais su, je les aurais contactés plus tôt car j’ai appris, par exemple, qu’ils intervenaient au niveau de l’investissement dans le magasin. Bio Darna s’est construit entièrement sur Fonds propres. Nous ne sommes passés, ni par des Fonds de soutien ni par des prêts bancaires. Maintenant que je m’en rends compte, je me dis que c’est dingue.

Vous avez recherché de l’aide ?

Sur internet, nous avons d’abord cherché des prêts bancaires. Nous n’avons pas suffisamment creusé nos recherches pour tomber sur les possibilités de primes et d’aide à la création. C’était sans doute une erreur.

Vous étiez dans l’enthousiasme et l’optimisme du début ?

On sort d’une crise qui a touché de nombreux indépendants. Beaucoup ont déclaré faillite ; malheureusement, il y a eu des suicides. On était un peu dans le rush ; on voulait ouvrir le plus rapidement possible parce qu’on avait peur qu’un nouveau confinement nous retombe dessus. Après deux ans de crise, on est devenus des « bombes à retardement ». On avait retenu tellement d’énergie en nous, qu’on voulait enfin la mettre dans notre investissement.

Une ex-commerçante très fair-play

Vous avez ouvert peu de temps après la fermeture d’un autre magasin bio schaerbeekois, qui existait depuis plus de 30 ans. Comment s’est passé la relève ?

La gérante du magasin qui a fermé nous a beaucoup inspirés. Elle venait souvent ici parce qu’elle habitait dans le quartier.  Elle connaissait bien les habitants, ainsi que les habitudes et besoins de la clientèle. En discutant avec elle, nous avons pu mieux choisir la marchandise. Nous avons évidemment notre propre empreinte mais nous essayons de satisfaire tout le monde.

La gérante de l’ancien magasin a donc joué un rôle important ?

Elle a été très « Fair Play ». Dommage qu’elle ait déménagé loin d’ici. Comme elle nous connaissait, elle envoyait sa clientèle chez nous. Elle nous donnait des conseils sur les produits ou nous mettait en contact avec des fournisseurs. La transition s’est faite naturellement.

D’une certaine manière, la fermeture de son magasin vous a aidé à vous lancer ?

Je ne sais pas si c’est un avantage qu’un magasin doive fermer pour qu’un autre en profite. C’est peut-être dans la logique de « Monsieur Tout le monde » mais ce n’est pas toujours le cas. Le commerce est volatile ; ce n’est pas mathématique. La fermeture de son magasin a eu pour effet qu’une partie de ses clients ne sont pas venus chez nous. Ils ont trouvé leurs habitudes ailleurs.

Le bio est sur la ligne de front

Comment cela s’est passé pour vous pendant le covid ?

Nous avons ouvert le magasin après les confinements. En tant que commerces dits « essentiels », nous n’avons pas subi toute cette pression liée au Covid Safe Ticket. Nous subissons davantage la pression actuelle, celle des surcoûts énergétiques et de l’inflation. Ce qui est pire que le confinement.

Comment cette nouvelle crise s’est-elle imposée ?

L’activité a d’abord évolué de manière exponentielle. Mon épouse et moi sommes gestionnaires et créateurs de la société ; il était donc logique que nous soyons tous les deux dans le magasin. Les horaires étaient cependant difficiles car, pour la première année, nous avions décidé d’ouvrir de 9h à 20h et ce, six jours sur sept. L’idée était de pouvoir engager ensuite une personne pour nous alléger, tout en conservant les mêmes horaires.

Et l’actualité en a décidé autrement…

La guerre en Ukraine a déclenché cette crise énergétique, du moins c’est ce que l’on entend dans la presse. On connait la suite de l’histoire : les magasins augmentent leurs prix, pour pouvoir payer leurs charges, cela impacte le consommateur final. Les salaires ne suivent pas, l’inflation touche la marchandise, parce qu’il faut la transporter, la stocker, la conserver. Tout cela demande de l’énergie.

 

« Dans ma commune, il y a deux boulangers, ils sont vraiment mal. Ils ont un peu augmenté le prix de certaines viennoiseries, mais pas celui du pain et ils se demandent s’ils ne vont pas fermer une partie de la semaine. Mais qui va y gagner finalement ? Les grandes surfaces ! A terme, on va tous manger du pain carré mou emballé dans du plastique. »

Pierre-Frédéric Nyst, Président de l’UCM, La Libre, novembre 2022

 

Concrètement ?

Le bio est sur la ligne de front. C’est un des secteurs qui ont été les premiers impactés par l’inflation. Le consommateur lambda, même le plus rigoureux du bio, fait une petite marche-arrière, en se redirigeant vers les commerces classiques pour se nourrir. Donc, ça nous impacte.

Partent-ils tout à fait ou restent-ils en partie ?

La clientèle du bio est hétérogène. Il y a ceux qui consomment 100% de bio et les consommateurs partiels, qui viennent de temps en temps pour des produits spécifiques. Pas forcément parce que c’est moins cher. Aujourd’hui, le prix des fruits et légumes du bio et de la grande distribution sont plus ou moins équivalents. Alors pourquoi ne pas manger tout simplement organique ?

Dans la grande distribution, ils vendent aussi du bio…

Oui, à la différence que nous avons une certaine éthique sur le cycle court : nous allons toujours privilégier les producteurs locaux parce qu’eux aussi sont impactés par la hausse des prix.

Se contenter de ce qu’il y a

Quelle stratégie avez-vous mis en place face à ces difficultés ?

Le magasin a une superficie de 160 m², pour les deux étages. Dans cet espace, on essaie d’offrir exactement ce que les grandes surfaces proposent. En étalage, vous trouvez les cosmétiques, les compléments alimentaires, l’épicerie fine, les fruits et légumes, d’autres produits frais et surtout, notre produit « phare » qui est le vrac, auquel nous dédions toute la mezzanine.

Et, plus spécifiquement, par rapport à la crise ?

On a décidé de ne pas trop commander parce que toutes nos économies sont passées dans les factures prioritaires. Il n’y avait plus de trésorerie, on ne rentrait plus dans nos frais et donc on ne commandait plus. Ensuite, nos fournisseurs ont bloqué les commandes, pour qu’on puisse ventiler nos dettes. On a du faire avec ce qu’il y avait en magasin.

Quel a été l’impact sur la clientèle ?

Si le client ne trouve plus ce qu’il cherche, automatiquement, il va voir ailleurs. Néanmoins, les clients de magasins bio gardent une certaine éthique et nous en sommes très reconnaissants. Ils ne veulent pas nous laisser tomber. D’une certaine manière, on a l’impression que nous les avons laissé tomber. Mais nous n’avions pas les moyens de faire autrement.

Vous en avez perdu certains ?

A la longue, certains ont été agacés et ne sont plus revenus. Nous ne posons aucun jugement, c’est simplement un constat, qui nous amène à la question « Est-ce que le magasin va tenir le coup ? ». On est une petite structure et nous dépendons fortement des clients. A un certain moment, il va falloir trancher.

La fermeture est une option qui vous vient à l’esprit ?

Non. Je rejette catégoriquement cette idée. Je suis très têtu. Quand on est un « petit » indépendant, il faut être comme ça. Je ne dis pas qu’il faut courir à sa perte, il faut savoir peser le pour et le contre et s’arrêter si nécessaire.

La stratégie de stopper les commandes permet-elle de résorber les factures ?

Cela permet aux gens de se contenter de ce qu’il y a. De notre côté, cela a permis d’absorber une toute petite partie des factures.

Avez-vous eu d’autres idées pour vous en sortir ?

Nous ne sommes pas restés les bras croisés. Nous avons adapté notre offre, en proposant quelque chose de peu onéreux et d’intéressant pour la clientèle : un service « traiteur » (gratins, préparations végétariennes…). Cela commence à fonctionner. Nous avons par ailleurs signé un contrat avec l’ULB, pour la livraison de paniers de fruits, ce qui est fiscalement déductible.

 

Propos recueillis par Valérie Decruyenaere, chargée du projet 7 Jours Santé

Une écoute, des conseils, un accompagnement

La situation actuelle n’est aisée pour personne, y compris pour vous. En tant qu’acteur économique bruxellois, vous êtes en première ligne des personnes impactées par la crise. En cas de débordement, quel qu’il soit, demander de l’aide est humain et normal. Voici quelques bonnes adresses.

1819, Premier point d’information pour les entrepreneurs bruxellois

Ce service poursuit un double objectif :

  • Fournir aux entrepreneurs une information de première ligne sur les différents aspects liés à l’exercice d’une activité économique : financements, aides publiques, forme juridique et statut social, démarches administratives…
  • Orienter les entreprises dans le réseau bruxellois des institutions et organismes d’accompagnement.

https://1819.brussels/

Les guichets d’économie locale (GEL)

Quelques communes bruxelloises disposent d’un guichet d’économie locale (GEL), qui accompagne les entrepreneurs débutants dans le développement de leur activité, en tant que personne physique ou sous forme de société et ce, dans tous les domaines liés à la gestion de votre entreprise. Ses services sont gratuits. Certains guichets sont installés au sein d’un centre d’entreprise.

https://1819.brussels/infotheque/demarrer-une-entreprise-formalites/les-guichets-deconomie-locale-de-la-region-de

Un pass dans l’impasse

Afin d’éviter des situations de mal-être, le « Dispositif de soutien psychologique pour indépendants en détresse » de l’ASBL « Un pass dans l’impasse » offre un soutien spécifiquement destiné aux indépendants francophones.

https://www.7jsante.be/un-pass-dans-limpasse-un-filet-solide-pour-les-independants-en-detresse/