Géraldine Bertrand

Géraldine Bertrand témoignage
Ex-entrepreneure résiliente


Présentation

Autrefois entrepreneure dans la création textile, je suis aujourd’hui chargée de prospection pour le Guichet d’Économie Locale – Dansaert. Ou, plus précisément, « chargée de mission – facilitateur », dans le cadre d’un projet financé par la Région. Je rencontre les entrepreneurs bruxellois (indépendants, TPE et PME), afin d’écouter leurs besoins et de les réorienter vers différents services d’accompagnement. Certains sont bouleversés par le choc d’une faillite. Ayant moi-même vécu cette expérience, je peux leur donner les mêmes pistes que celles que j’ai cherchées pendant trois ans.

ENTREPRENEURE

Quelle était ton entreprise ?

J’ai travaillé pendant trois ans pour une marque de vêtements pour enfants, dont je créais la maille en collaboration avec l’équipe (maille designer). Des vêtements écologiques, produits au Portugal et certifiés bio. J’étais aussi agent de cette marque et nous avions décidé d’ouvrir une boutique au centre de Bruxelles. Je me suis installée en tant que personne physique et j’étais seule. Ce qui était déjà très compliqué.

Se lancer seule est compliqué ?

En général, quand on se lance, on n’est pas suffisamment averti du poids d’une activité seule. Pour un parent en garde alternée, la gestion du temps est parfois compliquée : quand la boutique ouvre à 11h, ça va, tu as le temps de les conduire à l’école. Mais quand tu termines à 18h30 et que tu ne te paies pas, c’est vite la descente aux enfers… En plus, le centre-ville était déjà un peu mort à cause du piétonnier.

Quand as-tu décidé d’arrêter ton activité ?

Je n’ai pas tout de suite déposé le bilan. Cela a pris l’eau assez vite mais, la dernière année, je me suis tournée vers des solutions alternatives parce que je devais assumer un bail de neuf ans et des crédits bancaires. On ne peut pas arrêter une activité du jour au lendemain.

Comment ça se passe après un dépôt de bilan ?

J’ai dû faire aveu de faillite en septembre 2020. Je suis passée au tribunal et j’ai obtenu l’excusabilité. L’excusabilité est une mesure récente, qui consiste à effacer les dettes du failli. Avant, une personne physique qui faisait faillite devait rembourser ses dettes jusqu’au dernier euro. Son allocation de chômage (ou son salaire, si elle avait retrouvé un emploi) était alors amoindrie pendant des décennies. J’ai aussi été accompagnée par le CED, qui m’a été d’une aide précieuse.

CONSEILLÈRE

Te voilà maintenant conseillère au GEL-Dansaert

Je suis « chargée de mission « facilitateur », dans le cadre d’un projet financé par la Région.  Ma mission est d’aller à la rencontre des entrepreneurs de TPE (Très Petites Entreprises) qui vivent la crise-covid et de faire une analyse de leur situation. Je cherche à savoir si tous les entrepreneurs de mon secteur ont été avertis des primes existantes, s’ils ont un réseau, etc. Pour certains, la trésorerie a fondu. Je les oriente vers mes collègues conseillères du GEL, qui prennent le relais pour les aider à affronter l’avenir.

Et ceux qui veulent arrêter leur activité ?

Je les oriente vers le CED ou le programme Revival, initiative de personnes privées, qui ont décidé d’investir dans l’accompagnement d’entrepreneurs en faillite. Je propose aussi le programme Restart de Beci.

LIBERTÉ ET INSÉCURITÉ

Quels sont les avantages et inconvénients d’être entrepreneure ?

Les avantages ? La liberté. Celle d’être son propre patron. J’aime pouvoir gérer mon affaire, ne pas être cloisonnée dans des horaires 9h-17h. Me sentir libre d’orienter mon business comme j’en ai envie.

Les inconvénients ?

  • L’insécurité financière : les charges sociales et fiscales sont beaucoup trop lourdes au début. Heureusement aujourd’hui des dispositifs existent qui permettent de garder un an de chômage, le temps de créer son activité (JobYourself…). Si tu as été entrepreneur toute ta vie, tu n’as pas droit au chômage. Aujourd’hui, il y a le droit passerelle, qui existait déjà avant la crise : un indépendant en faillite a 12 mois d’allocation, qu’il peut répartir sur toute sa carrière. Ce n’est pas grand-chose mais c’est mieux que rien.
  • Le stress financier : ne pas savoir ce que tu vas gagner à la fin du mois et si tu vas pouvoir payer ton loyer.
  • Le statut : tu n’as pas de 13ème mois, tu cotises à peine pour ta pension, tu ne peux pas être malade…

Tu ne peux pas être malade ?

Je tenais un magasin : je n’ai pas été malade un seul jour en trois ans. Si tu es malade, non seulement tu ne te paies pas mais en plus, tu dois payer la personne qui te remplace. Partir en vacances représente aussi une perte financière : si tu fermes ta boutique, tu dois calculer le coût des vacances (trajets, logement…) + le coût de la perte de revenus en ton absence.

BIEN SE CONNAÎTRE AVANT DE SE LANCER

Selon toi, en tant qu’entrepreneure, à quoi faut-il être attentif pour préserver sa santé ?

Ouvrir seule une boutique veut dire rester enfermée toute la journée. Du moins au début, car il faut du temps avant de pouvoir engager quelqu’un. Il est très important de bien se connaître avant de se lancer , de poser sur papier ce que l’on espère et si c’est atteignable. Quelles sont mes limites ? Par rapport à l’environnement et aux conditions de travail ? Par rapport à la solitude ?

On entend souvent les entrepreneurs dire : « Comme on n’a pas le droit d’être malade on ne l’est pas. » Comme s’ils s’organisaient psychiquement pour ne pas tomber malade…

Oui, je pense que c’est ça. Cela dit, je n’étais pas spécialement plus malade quand je travaillais en tant que salariée. J’essaie de me maintenir en forme. Je ne pratique pas vraiment un sport mais je fais tout à vélo. Je sais qu’en tant qu’indépendant, c’est difficile de dégager une heure de sport. Mais il y a moyen de bouger même sans s’inscrire dans un cours régulier.

Comment, par exemple, à part le vélo ?

Quand je prends le métro, je ne prends jamais les escalators. Quand c’est possible, je descends une station avant ma destination pour marcher un peu. S’étirer aide aussi et il y a moyen de le faire chez soi : par exemple, fixer une barre entre deux murs pour faire des étirements (suspension), utiliser la balustrade d’un balcon pour étirer les jambes ou, le temps d’une pause, toucher le sol avec les mains… Pratiqués régulièrement, ces trucs et astuces font la différence.

DES ANGES GARDIENS

As-tu vécu la période covid en tant qu’entrepreneure ?

Non parce que j’ai arrêté mon activité 10 jours avant le confinement… de toute façon, covid ou pas, j’aurais fait faillite.

Que se passe-t-il concrètement quand la faillite est déclarée ?

Le curateur et le procureur du roi font une analyse rétrospective de ton activité financière. Ils peuvent fouiller dans tes comptes, pour clarifier ce qui s’est passé. Si le curateur estime que tu n’as pas bien agi, ton patrimoine privé risque d’être saisi, y compris celui que tu as en commun avec un conjoint ou ex-conjoint. J’ai été très bien accompagnée par le CED pour gérer la situation pendant cette période.

Tu n’as donc pas été directement impactée par la crise ?

Le pire pour moi n’a pas été la crise covid. Si ce n’est qu’à cause de la crise, ma propriétaire m’a demandé de quitter l’appartement. Le contexte l’avait mise en difficulté et elle devait récupérer son bien. J’ai donc dû chercher un autre logement…

As-tu obtenu facilement le chômage ?

Non. Autre conséquence de la crise, la CAPAC s’est retrouvée avec un million de chômeurs d’un coup à gérer. Je n’ai rien touché avant 8 mois. Après avoir vécu l’angoisse de me demander comment j’allais vivre avec 800€, j’ai ensuite vécu celle de ne pas les voir arriver.

Comment as-tu fait pour vivre durant cette période ?

Je me suis débrouillée grâce à la solidarité. J’aurais pu demander un complément au CPAS mais ils étaient aussi débordés. Ces services étaient devenus injoignables par téléphone. Quand je suis allée à la CAPAC, pour voir où en était mon dossier, la file était interminable et la tension palpable. Au syndicat c’était pareil : des amis artistes se postaient à 5h du matin devant la porte pour être sûr d’être reçus.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?

Pour ma recherche d’appartement, je n’avais pas de fiche de salaire à présenter au propriétaire et je n’avais pas encore reçu la réponse de l’Onem. Dans ce cas, on te propose de trouver un garant… C’est cela qui a été le plus dur.

Par quel miracle as-tu trouvé un appartement ?

J’avais mis une annonce sur Facebook et le bouche à oreille a fonctionné…

Comment cette propriétaire t’a-t-elle accueillie ?

Avant de la rencontrer, j’ai demandé conseil au CED parce que je me demandais si je pouvais lui dire la vérité. Quand tu fais faillite, l’État peut avertir ton propriétaire et le propriétaire a le droit de casser le bail. La propriétaire était confiante et ne m’a pas demandé de fiche de salaire. Mais j’ai préféré rester honnête : je ne voulais pas qu’elle ait la surprise de recevoir une lettre du curateur. Donc je lui ai tout dit. Et elle a accepté !

Comment as-tu trouvé ton emploi au GEL-Dansaert ?

Par la personne qui me coachait au GEL. Elle m’a fait part de l’existence du poste et j’ai postulé. J’étais très motivée car je voyais clairement ce que je pourrais apporter à ce public. Souvent, les entrepreneurs contactés par une administration se méfient mais le fait que je sois passée par l’entrepreneuriat les rassure.

Cela leur donne plus confiance ?

Oui. Cela ouvre les vannes : tout se vide. Chez Revival, ce ne sont que des entrepreneurs qui accompagnent. C’est un peu comme un parrainage. Ce qui ne veut pas dire que tout accompagnateur doit être passé par la case entrepreneur ou avoir fait faillite, loin de là ! Certains accompagnateurs salariés ont cette fibre entrepreneuriale. La plupart se rendent disponibles, sans rester calés dans des horaires fixes. Pendant ma période compliquée, j’étais soulagée que ma coach décroche le téléphone…

Qu’est-ce que cela fait d’être de l’autre côté de la barrière ?

Paradoxalement, même si je me serais bien passée de toutes ces épreuves, cela a été très formatif pour moi. C’était dur mais je me connais mieux qu’avant et je tente d’être attentive aux signaux pour les autres et pour moi-même.


Propos recueillis par Valérie Decruyenaere, Chargée du projet 7 Jours santé, juin 2021.