Salima Sérouane

Coordinatrice du Centre pour Entreprises en Difficulté (CEd)1


 

Initiative de la Chambre de Commerce (BECI), le CEd accompagne, oriente, conseille les indépendants et entrepreneurs bruxellois sur leurs questions juridiques, comptables et financières. Depuis le début de la crise Covid en mars 2020, le CEd met davantage l’accent sur la santé mentale et l’impact que peuvent avoir les crises, tant sur l’entreprise que sur l’entrepreneur en tant qu’être humain. Salima est en contact quasi permanent avec les entrepreneurs. Sa fonction première est la coordination des activités.

Comment se décline l’aide du CEd ?

Le CEd organise trois types de services :

  • Les ateliers collectifs. Ils se tiennent les mardis de 14h à 16h dans les locaux de BECI. Une dizaine de participants sont réunis autour de 2 ou 3 experts, qui répondent à leurs questions. Salima joue le rôle de chef d’orchestre. Cette réunion de travail a pour intention l’enrichissement mutuel, par l’échange d’expériences et de vécu. Selon la coordinatrice, cela permet de faire tomber certains tabous, de relativiser leur situation et de clarifier leurs idées. Les ateliers mettent aussi en lumière certaines questions auxquelles ils ne pensent pas spontanément. « Par exemple, une dame vient pour une question juridique. En face d’elle, il y a un monsieur qui pose des questions d’ordre financier. Elle prend beaucoup de notes et se rend compte qu’il y avait aussi des aspects financiers intéressants, auxquels elle n’avait pas pensé. »
  • Les sessions individuelles. Elles se déroulent chaque jeudi de 7h30 à 9h30 en ligne. Elles se destinent aux entrepreneurs qui ne peuvent pas se déplacer, à ceux qui n’ont pas envie de parler en public ou qui ne maîtrisent pas bien le français ou encore, à ceux qui ont une question pointue. Un entrepreneur rencontre un expert sur une question précise, d’ordre juridique ou comptable2.
  • Les sessions d’information sur les subsides. Tous les vendredis de 7h30 à 9h30, en individuel et au BECI.

En s’inspirant des thématiques les plus souvent abordées en sessions collectives ou individuelles, le CEd organise aussi des événements ponctuels. Par exemple, « comment amortir la flambée des prix de l’énergie dans le prix de vente ? » ou « comment mieux négocier mes contrats ? ». Ces informations peuvent également être diffusées sous forme de capsules vidéo.

A qui s’adresse le CEd ?

Le CEd s’adresse à tous les indépendants et entrepreneurs bruxellois et ce, tous secteurs confondus. Majoritairement, les indépendants et chefs de TPE et PME. Les entreprises déjà assises et plus développées ont généralement leur propre conseil et ne passent pas par le CEd.

Le Centre traite un large panel de demandes, telles que :

  • un entrepreneur se pose la question de la viabilité de son entreprise ;
  • un entrepreneur sent que le vent tourne et voudrait vérifier que son Business Plan (BP) est toujours aligné sur la conjoncture ;
  • un indépendant est au bout du rouleau et ne voit plus du tout les chances de succès de son projet. Le Centre l’informe alors sur les différentes formes de « sortie » : cession, revente, faillite, PRJ

 

Témoignage

Relu et complété par Lucille Bermond, avocate pour le CEd.

Quels sont ceux qui appellent à l’aide actuellement ?

Paradoxalement, nous n’avons pas encore été submergés par la crise énergétique. A ce stade3, trois ou quatre cas, dont un studio-photo en plus grande difficulté. Comme pour la crise Covid, il y a une certaine forme de latence. Les gens arrivent encore à payer donc le problème n’est pas encore vraiment là.

Anticipez-vous une probable augmentation des appels dans un futur proche ?

BECI a travaillé avec la banque nationale pour réaliser un sondage. Une enquête est également en cours via un call-center, pour aller vers les entreprises et les interroger : Que font-elles ? Que comptent-elles faire ? Comment s’en sortent-elles ? Sont-elles effrayées par la question énergétique ? Nous posons aussi la question de l’indexation des salaires prévue pour janvier. Nous pouvons ainsi monitorer la santé des entreprises et leur capacité à prévenir. L’enquête permet également d’outiller les décideurs, afin qu’ils trouvent les solutions les plus adaptées au tissu économique.

Des signaux avant les crises

Il y a peut-être une période de latence. Mais d’autres échos montrent que, pour toute une partie des indépendants, ça ne va pas du tout…

S’ils sont au bout du rouleau, je doute que ce soit du fait de la crise énergétique, qui est relativement récente. J’ai pu l’observer dans le cas de la crise sanitaire : les entreprises qui ferment aujourd’hui sont celles qui étaient en mauvaise santé avant la crise. Elles n’ont survécu que grâce au saupoudrage des aides, mais on sentait depuis longtemps la chronique d’une mort annoncée. Les signaux étaient là avant la crise. Je crois que, pour la crise énergétique, on est plus ou moins dans la même situation. Ceux qui souffriront le plus sont ceux qui chauffent et ceux qui refroidissent : les restos, les grands espaces…

L’interview d’une conseillère du GEL-Dansaert révèle que beaucoup d’entreprises en difficulté aujourd’hui le sont notamment parce qu’elles sont taxées a postériori sur le droit passerelle qu’elles ont perçu (en brut), pendant le Covid.

Pour les entreprises qui étaient déjà faiblardes, le Covid n’a pas aidé. Même pour les sociétés qui s’en sortaient bien à vrai dire. Par exemple , certaines ont essayé de « jouer le jeu », en tentant de maintenir un maximum leurs travailleurs. Elles évitaient ainsi le chômage temporaire et de solliciter des aides de l’État. Malheureusement, elles n’en ont pas été gratifiées post covid, car les nombreuses charges (notamment ONSS) n’ont pas bénéficié d’une aide particulière et ce, alors que la crise de l’énergie commençait.

La date de naissance de l’entreprise conditionne-t-elle l’obtention d’une aide ?

Auparavant, les entreprises créées en 2020 et plus ne recevaient pas de soutien. Mais ce critère a été assoupli pendant le Covid et les « jeunes » sociétés ont pu bénéficier des aides.  En revanche, ces aides sont pour la plupart des revenus taxables, ce qui est également un coup dur pour les entreprises.

L’efficacité des aides est donc relative ?

En effet. Si l’Etat belge (SPF Finances) se montre compréhensif et patient dans l’octroi de plans d’apurement, ce n’est pas le cas de l’ONSS et encore moins des fournisseurs d’énergie qui se montrent relativement intransigeants en pleine période de crise énergétique.

Les jeunes entreprises sont aussi touchées ?

Oui. C’est une accumulation de petites choses qui fait qu’aujourd’hui des entreprises se trouvent en grande difficulté, alors qu’elles ont deux à trois ans d’existence.

Déni et stéréotypes

Que perçois-tu de l’impact de la crise sur la santé des entrepreneurs ?

Je participe à toutes les réunions collectives avec les indépendants et entrepreneurs. Parfois, je joue l’avocat du diable et je leur demande : « Et vous, comment vous allez ? ». Souvent, ils vont tous et toujours bien. Et puis, je creuse un peu : « Est-ce que vous vous en sortez à la fin du mois, vous arrivez à vous payer ? ». Alors les choses commencent à sortir, tout doucement. C’est souvent en attendant les retardataires ; on discute un peu en off. C’est là qu’on se rend compte que le mental tient vraiment « au scotch ». Les gens sont quand même fort impactés mais il y a une résilience, qui vient de je ne sais où et qui les fait tenir sur la longueur.

Ils tiennent sur la longueur, sans burn-out, sans surmenage ?

Ils sont surmenés. Ils sont très souvent dans le déni. On les oriente vers Un Pass dans l’Impasse quand on voit qu’il y quand même des risques réels de suicide. Ce n’est pas forcément exprimé mais les alertes et l’attitude sont là. Mais on ne fera jamais le lien avec la crise énergétique. Parce que cette crise n’est que la conclusion d’un tas de mois pénibles. Cela fait presque trois ans maintenant qu’ils vivent une situation difficile, qu’ils enchaînent les crises… La crise énergétique c’est la cerise sur le gâteau.

Pour le moment, ce sont surtout des craintes ?

Oui. Donc nous, à ce stade, on pose la question de savoir « Comment allez-vous vous adapter ? Allez-vous éteindre les lumières ? Impliquez-vous vos collaborateurs dans la réflexion générale ? Allez-vous faire plus de télétravail ? etc. » Toutes ces portes s’ouvrent aujourd’hui : des entreprises qui hier préféraient revenir au bureau parce que c’est quand même plus sympa et qu’on avait besoin de se retrouver, se demandent aujourd’hui s’ils ne garderaient pas trois salles fermées et tout le monde à la maison.

Puisque les ateliers sont axés sur les plans juridiques et comptables, comment abordez-vous l’aspect « santé mentale » ?

Concrètement, nous travaillons avec des experts (avocats, comptables), qui ont l’habitude de voir des gens découragés et inquiets. Ils ont la bonne oreille et les propos adéquats pour rassurer et remonter le moral. Au début de la crise Covid, dans la période de sidération générale, on a mis en place des ateliers de soutien psychologique, animés par un coach. Ça été un flop. Parce que les gens ne s’estiment pas « mal dans leur peau » ; ils ne le reconnaissent pas. Ils ne se l’avouent pas et encore moins en public. Leur réaction est de dire « Mais, je ne suis pas fou. Je n’ai pas besoin de parler à un psy. »

Ce sont des stéréotypes encore bien ancrés…

Pourtant, c’étaient parfois des thématiques très terre à terre. Par exemple « Votre santé et la gestion du temps ». C’était abordé de manière presque ludique mais le retour était « Non, moi ça va j’ai surtout besoin d’aide financière. » Depuis deux ans, avec ma collègue Catherine Mertens et avec l’aide d’une psy spécialisée en psychologie de l’entrepreneur, nous organisons des capsules vidéo et des webinaires, qui abordent le burn out, le bore out… la santé mentale de manière très générale.

Pourquoi sous forme virtuelle ?

Pour que ce soit justement diffusé de manière anonyme et en tous temps. Ce sont des informations qui peuvent vraiment servir tout un chacun. Ainsi, par exemple, le/la conjoint.e d’un entrepreneur peut voir la capsule et attirer son attention sur tel ou tel point. Tout le monde peut être concerné sans devoir être autour d’une table et assister de manière académique à une session, qui nécessite un déplacement et de s’identifier.

Focus santé mentale : pour les accompagnés et les accompagnants

L’anonymat les rassure ?

Certainement. De plus, ils vont chercher l’information quand ils le souhaitent. Nous en faisons cependant la promotion, en faisant passer le message que l’entrepreneur ne peut bien gérer son entreprise que si sa gestion mentale est optimale. L’un ne va pas sans l’autre.

Tu as pu l’observer concrètement sur le terrain ?

J’ai vu, par exemple, un monsieur qui venait aux ateliers collectifs à moto, hyper motivé etc. La première chose qu’il a dite c’est « Je suis au bout du rouleau ». Ça ne servait à rien qu’il commence à travailler sur les finances, il ne comprenait même plus ce qu’il disait, ne savait plus lire ses chiffres. Donc on lui a dit « Premièrement, pensez à parler à quelqu’un. Analysez votre santé. Et quand le brouillard se dissipera, vous pourrez aborder la suite ».

Dans ce cas, vous l’orientez vers les organisations de santé mentale compétentes ?

On essaie de déceler les cas. Quand on sent qu’il y a encore de l’ouverture et de la spontanéité, on envoie la personne vers du collectif, comme les ateliers et outils de 7 Jours Santé. Si elle commence à broyer du noir, on l’envoie vers des sessions plus intimistes, en one to one. Le cas échéant, chez un psy.

Certains partenaires, coordinateurs de dispositifs d’aide aux entrepreneurs, nous ont confié que les crises ont également un impact sur le bien-être de leurs équipes…

Je ne suis au CEd que depuis un peu plus d’un an. Mais cela fait 5 ans et demi que je suis chez BECI. Au début, je faisais de la transmission d’entreprises. Ensuite, est arrivée la crise Covid et il a fallu donner un coup de main au CEd, parce que la ligne téléphonique était saturée. On se trouvait confrontés à des cas de détresse profonde. J’ai dû faire appel à de l’aide, en interne. En tant que conseillers, nous avions besoin d’une guidance, pour savoir ce qu’on pouvait dire ou non, quels étaient les risques auxquels il fallait être attentifs. Pour éviter aussi que cela nous affecte émotionnellement. Stéphanie Delroisse, psychologue, nous a donné quatre sessions d’information, pour nous permettre de garder le recul suffisant, tout en restant impliqués.

Propos recueillis par Valérie Decruyenaere, Chargée du projet 7 Jours Santé

 


  1. Nous avons appris début décembre 2022 que Salima ne travaille plus au CEd. L’article a été relu et complété par Lucille Bermond, avocate pour le CEd. 
  2. En principe, le CEd a trois compétences : juridique, financière et stratégique. Cette dernière a été momentanément mise au frigo, le temps d’élaborer une approche plus préventive.
  3. Interview réalisée le 6 octobre 2022