Faillites et santé : les causes d’une tornade

Faillite et santé

Début mars 2020, l’équipe de 7 Jours Santé préparait un article, traitant de l’impact de la faillite sur la santé de l’entrepreneur. L’analyse se basait sur l’interview de Jean-Marc Colson, coach et formateur, dans le cadre du programme Restart du Beci. A l’annonce du confinement, l’équipe décidait de reporter sa publication, afin de répondre aux questions prioritaires, imposées par la crise : stress financier, isolement, déconfinement…

Au fil de ces épreuves inédites et face à l’incertitude, la question du vécu de la faillite et des moyens de la traverser (sans trop de casse) se révèle, plus intensément. Sans verser dans le pessimisme mais en restant toutefois réaliste, il nous semble aujourd’hui opportun d’y consacrer une attention toute « préventive ».

En effet, dans son analyse du 5 août 2020, le SPF Économie cite une enquête récente de l’Economic Risk Management Group (ERMG), selon laquelle « les entreprises belges…estiment que leur chiffre d’affaires est toujours de 17 % inférieur à leur niveau d’avant la crise… Bien que la perception quant au risque de faillite, aux problèmes de liquidité et au degré d’inquiétude se soit améliorée, l’impact de la crise sur les entreprises demeure cependant toujours conséquent. »

Parmi les facteurs de risque, la diminution sensible de la consommation privée, par rapport au niveau d’avant confinement : selon une enquête de la Banque nationale de Belgique (BNB), réalisée du 14 au 21 juillet, « 68 % des répondants ont indiqué se rendre moins fréquemment dans les commerces tandis que 20 % ont déclaré ne plus s’y rendre… » Les dépenses en baisse se font principalement sentir sur le plan des activités récréatives (cinéma, théâtre…), de l’horeca et de l’habillement, soit les secteurs les plus durement touchés par le confinement. A cela s’ajoutent les perturbations de l’offre, telles que les problèmes d’approvisionnement, de rupture de stocks, de liquidité…

Le témoignage partagé ici rend compte de l’impact d’une faillite sur la santé de l’entrepreneur, en dehors du contexte de crise sanitaire. Nous vous laissons le soin de le décrypter, selon votre sensibilité et à la lumière des récents évènements… Rassurez-vous : nous n’en resterons pas au niveau du constat. Cet article sera suivi d’un autre, qui apportera des pistes de ressources pour rebondir.

Le choc de la faillite : entre facteurs individuels et sociétaux

Confronté à la faillite de son entreprise, le dirigeant peut traverser un véritable traumatisme professionnel et personnel. Les retombées financières, le sentiment d’isolement, la stigmatisation sociale peuvent engendrer une perte de confiance, en soi et en son projet. Si l’on n’y prend garde, l’onde de choc risque de retentir sur la santé et le bien-être de l’entrepreneur. Analyse avec Jean-Marc Colson, coach et formateur en « confiance en soi, intégrité, assertivité »,  dans le cadre du programme Restart du BECI.

En 2018, 734.170 Belges étaient repris sous le statut d’indépendant à titre principal. C’est 11.229 personnes de plus que l’année précédente (rapport 2018 de l’INASTI). Cette augmentation résulte entre autre de l’ubérisation et du développement d’activités multiples (les slasheurs), sans compter les indépendants complémentaires qui ne sont pas repris dans ces chiffres. En revanche, les complexités administratives et fiscales plombent le travail des indépendants. Découragés ou démunis face à la quantité de paperasses, un nombre croissant d’entre eux jettent l’éponge. En 2019, on compte près de 11.000 faillites, c’est 8% de plus qu’en 2018.

Jean-Marc Colson est coach et formateur en « confiance en soi, intégrité, assertivité », dans le cadre du programme Restart du BECI. Ce programme spécifique s’adresse aux entrepreneurs en faillite, pour les aider à rebondir. Afin de briser l’isolement et d’insuffler un esprit solidaire entre eux, Restart accompagne le même groupe pendant 5 mois et organise, notamment, des ateliers thématiques.

Selon le formateur, la perte de confiance chez le « failli » résulte de la conjonction de facteurs multiples, qui sont à la fois culturels, sociologiques et individuels.

Culturellement, la perception négative de la faillite, qui prévaut en Europe, explique en grande partie le sentiment de honte et de culpabilité de l’entrepreneur : « J’observe que la culture européenne a diffusé jusqu’à présent, une image négative de l’échec, qui dévalorise l’entrepreneur en faillite. J’ai l’impression qu’aux États-Unis, la perception de l’échec est très différente : il y existe  le droit de faire faillite pour apprendre. La tendance est de considérer que pour trouver la bonne martingale, plusieurs essais sont nécessaires. En Europe c’est une autre mentalité : on prône la prudence, l’attention au gaspillage. Stigmatisé par cette culture de la honte, l’entrepreneur ressent souvent une énorme culpabilité, vis-à-vis de ses employés, de sa famille. Et il peut parfois porter ce poids toute sa vie. »

En parallèle, les réseaux sociaux ont pris une place croissante dans les modes de communication. A l’instar de la publicité, ils ont tendance à véhiculer une image idéalisée et donc tronquée de la réalité : « il faut y aller à fond, croire en ses rêves, tout est possible… ».

Outre son empreinte sur l’ensemble de la société, le culte de la réussite pèse également sur les épaules de l’entrepreneur, en tant qu’individu. Aussi, lorsqu’il entrevoit l’ombre d’un possible échec, sa première réaction de défense est le déni : « La faillite provient en grande partie du déni : à un moment donné, ils se ferment les yeux. Souvent, ils ont aussi voilé la face de leurs investisseurs et de leur entourage. »

C’est ainsi que, parfois, sous le poids de la culpabilité, l’entrepreneur·e en difficulté cache la réalité à sa/son conjoint·e. Quand celle-ci/celui-ci découvre le pot aux roses, elle/il peut se sentir trahi·e.

Bien qu’il accentue le risque de « chute », le sentiment de culpabilité n’est pas l’unique raison de la faillite. Les causes sont également liées à l’organisation de la société et, plus spécifiquement, à son impact sur la  situation de l’entrepreneur. Parmi elles, le statut social de l’indépendant et son cortège d’obligations administratives et fiscales. Le système de sécurité sociale des indépendants est par ailleurs moins avantageux que celui des salariés, notamment, en cas de maladie et en termes d’équilibre vie professionnelle- vie privée. On peut cependant se réjouir que des améliorations pointent timidement leur nez, telles que l’obtention d’un congé de paternité.

La loi de la concurrence – et la versatilité du marché qui en découle – n’est pas non plus étrangère à l’issue douloureuse d’un dépôt de bilan : « Ils se sentent parfois victimes d’un engrenage dont le fonctionnement leur échappe, explique Jean-Marc Colson. Ils avaient conçu un produit qui marchait et tout à coup, un concurrent a racheté certaines choses, une espèce de grosse machine est passée et a embarqué leur marché, ils ont perdu des clients. »

Pour certains, la reprise soudaine et inopinée de l’entreprise familiale entraine des difficultés de gestion, qui mènent à la faillite. Suite au décès d’un parent, un entrepreneur s’associe à sa fratrie et se retrouve chef d’entreprise du jour au lendemain. Mais, comme il n’est pas initiateur du projet et qu’il n’a pas forcément la fibre entrepreneuriale, l’aventure se solde par une « sortie de route ».

Enfin, l’opacité du système bancaire peut contribuer à une prise de risques inconsidérés, ou plutôt non-avertis : « Certains se sentent ‘dindons de la farce’. Par exemple, quand les banquiers ne leur ont pas donné toutes les informations ou ne leur ont pas expliqué les règles… »

L’entrepreneur en faillite a-t-il conscience de la conjonction des facteurs individuels et sociétaux dans ce qui lui arrive ? Ou prend-t-il toute la responsabilité sur son dos ? Pour répondre à cette question et comme alternative au sentiment de culpabilité, le formateur opte pour une pédagogie de la responsabilité : « Le rôle que je me suis assigné est de les aider à reprendre les commandes de leur propre vie. Je ne veux pas prendre le risque qu’ils rentrent trop dans le rôle de victime du système, ce n’est pas leur rendre service. Même si je ne nie pas la réalité de la versatilité du marché et le fait qu’ils en sont tributaires… Il y a une différence entre culpabilité et responsabilité. Être responsable, c’est admettre que j’ai une part de responsabilité et que, si j’avais pu la mesurer, j’aurais pu éviter la faillite, c’est-à-dire, par exemple, déceler que le marché n’était plus favorable, arrêter l’entreprise, la vendre ou vendre les actifs. » Ce qui ne veut pas dire que toutes les faillites soient évitables mais accepter la faillite permet de mieux s’y préparer et d’éviter son côté destructeur.

Comment la faillite atteint la santé de l’entrepreneur

La faillite d’une entreprise peut impacter la santé de son dirigeant, à la fois sur les plans physique et psychique.

Au niveau psychique, le choc de la faillite se répercute principalement sur la confiance en soi : le sentiment d’échec plonge l’entrepreneur dans un énorme doute quant à sa capacité de gérer les situations de crise. Crise qu’il attribue entièrement à son mode de fonctionnement. « Certains commencent à trouver qu’ils sont mauvais dans tout, explique le coach de Restart, ils se définissent comme quelqu’un qui dysfonctionne… D’autres vont même jusqu’à douter de leur santé mentale. »

Pourquoi sont-ils touchés à ce point ? Jean-Marc Colson constate que la faillite agit comme un « rouleau compresseur émotionnel », susceptible de laminer tous les aspects de la vie. Généralement, l’entrepreneur a tout investi dans son entreprise : ses économies, sa maison, son héritage… Quand elle survient, la faillite emporte tout sur son passage et, bien souvent, son couple n’est pas épargné : son/sa conjoint·e, qui avait également investi dans le projet, peut se sentir roulé·e et l’accuser de les avoir tous deux menés à l’impasse. Le même ressentiment peut naître chez les parents ou la fratrie, qui avaient mis leur pierre à l’édifice… Accablé de reproches, l’entrepreneur en arrive à la conclusion qu’il n’est pas « normal » d’avoir brisé sa famille.

La culpabilité : principal facteur de risque pour la santé physique

Au fil de l’accompagnement des re-starters, Jean-Marc Colson observe cette constante : l’énorme culpabilité que ressent le « failli » est à la base de la détérioration de sa santé physique.

Afin d’anesthésier la honte et d’apaiser son mental, ce dernier peut en effet avoir recours à des pseudo-solutions, telles qu’une consommation excessive d’alcool, de tabac ou d’autres substances psychotropes. Parmi elles, les médicaments anxiolytiques et/ou somnifères car, évidemment, les tracas peuvent empiéter sur le temps et la qualité de son sommeil.

La précarité, provoquée par la faillite, peut également porter atteinte à la santé de l’entrepreneur. Son budget « courses » s’étant considérablement réduit, il est souvent contraint de consommer une alimentation moins équilibrée et/ou de faible qualité.

La question préventive et fondamentale qui se pose ici est donc : comment se débarrasser du sentiment – accablant et inutile – de culpabilité et reconstruire pas à pas, la confiance en soi ? C’est le défi que relève le programme Restart du BECI et, plus particulièrement, le module « confiance en soi, intégrité, assertivité », animé par Jean-Marc Colson. Cet accompagnement sur la durée mise principalement sur la force et la solidarité du groupe pour mieux rebondir. Le collectif se révélant alors une source d’espoir et de motivation considérable.

Valérie Decruyenaere
Chargée du projet 7 Jours Santé

 


D’après l’interview de Jean-Marc Colson, coach et formateur en « confiance en soi, intégrité, assertivité », 19 octobre 2019.