Après la crise, oser demander de l’aide

Crise aide horeca

A la sortie – espérons-le – de cette crise inédite, rouvrir son commerce n’est pas un long fleuve tranquille. Géraldine Bertrand, conseillère, encourage les entrepreneurs à oser demander de l’aide.

Autrefois entrepreneure, Géraldine Bertrand est aujourd’hui chargée de prospection pour le GEL-Dansaert. Forte de son expérience, elle rencontre les entrepreneurs bruxellois (indépendants, TPE et PME), afin d’écouter leurs besoins et de les réorienter vers différents services d’accompagnement.

Un coach pour chaque entrepreneur qui démarre

En quoi le fait d’être passée par la case « entrepreneure » sert-il ton travail de conseillère ?

D’avoir traversé tout cela, quand les gens ont des soucis, je reconnais leurs difficultés et je leur donne les mêmes pistes que celles que j’ai cherchées pendant trois ans. En tant qu’entrepreneure, j’ai pu établir une liste des manquements ressentis, je me suis fait aider pour faire un bilan qui, vu ma situation de parent, s’imposait.

Que manque-t-il aux entrepreneurs qui se lancent aujourd’hui ?

Quand j’étais désespérée, plusieurs accompagnateurs m’ont envoyé des bouées de sauvetage. Je pense qu’il faut un coach à chaque entrepreneur qui démarre. Un de mes amis, qui a développé une start-up, offre un coach à chaque personne qu’il engage. Alors qu’il s’agit de salariés ! Si cette mesure préventive s’appliquait tant aux starters qu’aux salariés, on pourrait éviter des burn out.

Que conseilles-tu aux porteurs de projet ?

  • IL EST RISQUÉ DE SE LANCER EN COUPLE OU EN FAMILLE : les questions d’argent sont souvent compliquées à gérer. Et puis, si la boite tombe, tout le monde fait faillite. Aujourd’hui, c’est le cas de beaucoup de managers de l’Horeca, à cause de la crise.
  • LANCER UN PROJET SEUL COMPORTE AUSSI DES RISQUES : le mieux est de se lancer à deux (hors famille) mais la difficulté est de dégager deux revenus et ce n’est pas toujours possible.
  • SI ON SE LANCE SEUL, MIEUX VAUT AVOIR DU SOUTIEN FAMILIAL : par exemple, une conjoint·e salarié·e, qui a de quoi nourrir les enfants, aller les chercher à l’école…
  • CERTAINS MÉTIERS SONT MOINS RISQUÉS : Au niveau de l’installation de base (location, matériel, approvisionnement…), se lancer dans des métiers tels que logopède ou kiné comporte moins de risques que d’ouvrir un établissement Horeca, pour lequel il faut d’emblée engager du personnel et dont le stock est périssable.

Entrepreneurs oubliés ou incompris

Comment les entrepreneurs que tu accompagnes vivent-ils la situation actuelle ?

Voici ce que j’ai pu observer, au fil de mes rencontres sur le terrain :

  • Un manque de perspectives, une perte de sens.
  • Certains secteurs ont été oubliés. Par exemple, on a accompagné un centre de bien-être, qui fait de la « flottaison». Cela consiste à se laisser flotter seul dans un œuf d’eau salée, avec de la musique douce. Ils devaient rester fermés, alors que les piscines réouvraient (sous réservation).
  • Difficultés liées au caractère multiculturel de Bruxelles. Par exemple, j’accompagne des indépendants avenue de Stalingrad (quartier du midi). L’avenue est éventrée pour 3 ans parce que le métro va y être installé. Dans certaines familles, le restaurant est repris de père en fils. En temps normal, ils ont de quoi vivre. Aujourd’hui, leur restaurant est condamné parce qu’il est situé sur le lieu des travaux. De plus, pour bénéficier des aides proposées, les indépendants d’origine étrangère rencontrent des difficultés linguistiques. Certains se débrouillent mieux en anglais qu’en français. Or, les documents ne sont traduits que dans les deux langues nationales.
  • Les commerçants proches de la pension : ils font aussi partie des oubliés de la crise. Pour couvrir leurs frais, ils ont dû puiser dans leur épargne-pension, qui a fondu. Les aides-covid ne leur permettent pas de résorber cette perte de capital. Bien que des programmes comme Revival ou Restart soient essentiels, il conviendrait de les compléter par un dispositif d’aide spécifique aux indépendants proches de la pension. C’est le public qui me touche le plus pour le moment.
  • Difficultés des entreprises qui sont restées ouvertes mais qui n’ont plus de clientèle. Par exemple, une entreprise de pressing au centre-ville n’avait reçu aucune aide car considérée comme service essentiel. Mais il y avait un hic : leurs clients sont les hôtels, les théâtres… Le gérant avait 15 employés et le droit passerelle. Mais cette allocation ne suffisait pas, compte tenu des frais de leasing : dix machines et des camionnettes, qu’il fallait continuer à payer, même si elles étaient à l’arrêt. A cela, il fallait ajouter le 13ème mois du personnel en « chômage-covid ».
  • L’incompréhension entre les deux mondes, salarié et indépendant, préexistante à la crise, s’est parfois intensifiée. Les travailleurs salariés entendent parler des aides aux entreprises dans les médias mais ils ne réalisent pas que c’est insuffisant, en regard des charges à payer. Certains indépendants, par exemple, avaient investi dans un bien immobilier et ne peuvent plus rembourser leurs crédits. C’est donc un « plan de vie » qui s’écroule. Ces aléas sont méconnus de l’entourage salarié et l’entrepreneur qui reçoit une aide-covid se sent souvent obligé de se justifier.

La peur de la réouverture

Que perçois-tu de l’impact sur leur santé, leur confiance en eux·elles ?

Nous avons reçu une formation de « Un pass dans l’impasse », service de prévention du suicide[1]. Ils nous ont notamment appris comment nous protéger émotionnellement par rapport au vécu des entrepreneurs accompagnés. Chez ces derniers, je perçois une difficulté à oser dire qu’ils ne vont pas bien moralement, d’autant plus s’ils n’ont pas de problème d’argent. Le mal-être n’est pas forcément lié au financier… En fin de conversation,  je leur pose la question : « Et vous, comment ça va ? ». Alors, ils se mettent à parler…

Quelles sont leurs principales préoccupations ?

  • ÊTRE/AVOIR ÉTÉ CONFINÉS AVEC DES ADOS : certains jeunes ont dû être accompagnés.
  • RETROUVER UNE ÉQUIPE : les salariés de l’Horeca ont apprécié les avantages de pouvoir rester auprès de leur famille, d’avoir le temps de conduire les enfants à l’école. De ce fait, beaucoup n’ont plus envie de retourner dans l’Horeca. Pendant les confinements, certains se sont re-formés et/ou réorientés, pressés par l’urgence financière ou parce que l’inactivité était trop pesante. Conséquence : ils ne sont plus disponibles sur le marché de l’Horeca. La réouverture dans ce secteur va être particulièrement difficile car beaucoup ont perdu leur équipe. Cela les rend très anxieux.
  • LA PERTE DE CONDITION PHYSIQUE DE LEURS EMPLOYÉS : travailler dans l’Horeca est assez « physique ». Par exemple, porter des fûts. Or, le personnel est resté inactif pendant longtemps et a perdu sa condition physique, son endurance. Les gérants me disent : « Même pour le service en salle, porter un plateau pendant plusieurs heures alors qu’ils ne l’ont plus fait pendant un an, c’est de l’entraînement ! »

Plus de moyens pour l’accompagnement 

C’est difficile pour certains de demander de l’aide ?

Une personne m’a dit un jour : « Ça ne sert à rien qu’on se voie. De toute façon, je vais faire faillite. » Au téléphone, il lui a fallu 15 minutes avant de me le dire. L’aveu de faillite est hyper difficile. Je sentais qu’elle était en train de craquer. Je l’ai mise en contact avec ma partenaire chez Revival, qui s’est inquiétée de ne pas avoir de ses nouvelles. Nous avons insisté jusqu’à ce qu’elle puisse l’accueillir dans son programme. Pour être passée par là, je sais que le risque se joue parfois en un ou deux jours. Donc, on ne l’a pas lâchée.

Vu la situation actuelle, il ne s’agit certainement pas d’un cas isolé…

Imaginez, s’ils sont cinquante dans cet état ? On sait qu’il y en a qui nous échappent. On pourrait rétorquer qu’on ne peut pas sauver tout le monde. Mais bon, il y a aussi des enfants et des ados derrière… Je crois qu’il faudrait davantage de moyens pour accompagner la réouverture. Non seulement pour pérenniser les postes de coachs mais aussi pour l’accompagnement psychologique.

La confiance en soi revient quand on a toutes les cartes en main

Qu’est-ce qui redonne confiance aux entrepreneurs accompagnés ?

Quel que soit le milieu, ils ont clairement besoin de parler et d’être entourés. Même si, au premier contact, ils ne l’annoncent pas clairement. J’ai aussi rencontré des dirigeants de PME en lien avec l’événementiel (fournisseurs d’éclairage, d’écrans géants…). En général, ils ont une quinzaine d’employés, tous à l’arrêt. Eux aussi, au départ ils disent qu’ils n’ont besoin de rien, qu’ils gèrent. Mais quand je les vois, on parle quand même pendant une heure et demie. La confiance en soi (re)vient quand on a toutes les cartes en main. D’où la nécessité de leur donner un maximum d’infos et contacts.

Qu’aurais-tu envie de dire aux entrepreneurs qui tentent actuellement de se (re)lancer ?

  • PRENDRE LE TEMPS DE S’INFORMER SUR LE PLAN ADMINISTRATIF : Concernant les charges fiscales et sociales, l’éventuel permis d’urbanisme, les normes de sécurité du bâtiment… En tant qu’indépendant, la charge administrative peut être assez lourde. Mieux vaut anticiper pour en maîtriser les rouages. De nombreux services existent pour se mettre au courant. Parmi les principaux : le 1819 et Hub.brussels.
  • MINIMISEZ LES COÛTS LORS DU LANCEMENT DE L’ENTREPRISE : Par exemple, si vous exercez un métier de contact : coiffeur, esthéticienne, kiné, masseuse… J’ai récemment découvert « SmartRooms », initiative d’une  indépendante qui met des salles à disposition pour accueillir la patientèle, pendant la première année du projet. Son tarif très abordable (14€/heure), permet d’éviter les lourdes charges locatives d’un cabinet, quand on débute. Donc, si vous vous lancez dans un métier de contact, attendez avant de louer un cabinet, d’avoir constitué une patientèle. Dans l’intervalle, ayez recours à ce type d’offre intermédiaire.
  • ENTOUREZ-VOUS UN MAXIMUM ET TESTEZ VOTRE IDÉE : « On ne peut pas être serein, quand on a mille questions dans son esprit et personne en face pour y répondre. »Allez à la rencontre des professionnels de l’accompagnement et des services d’aide à l’entrepreneuriat (Hub, 1819, Jobyourself…).
  • SI VOUS ÊTES DÉJÀ EN ACTIVITÉ, OSEZ FAIRE APPEL À DES AIDES EXTÉRIEURES : Ce n’est pas parce que vous avez déjà créé voire développé votre entreprise, que vous devez tout continuer seul. Osez demander l’aide de votre entourage et/ou d’un professionnel (expert, coach, psychologue…). Certains services proposent un accompagnement en « post-création », gratuit ou relativement abordable.

 

Propos recueillis par Valérie Decruyenaere, Chargée du projet 7 Jours santé.


[1] Dans un article du 16 avril 2021, 7 Jours Santé décrit le réseau solidaire des « sentinelles » créé par Impasse dans l’Impasse, pour identifier les entrepreneurs en détresse.

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